Andrei CIURUNGA (1920-2004)

Professeur, journaliste, poète, né à Cahul, en Bessarabie, il se réfugia en 1944 à Braila. En 1945 il fut arrêté pour avoir écrit un article anticommuniste publié en « Expresul ». Libéré, il est à nouveau arrêté en 1950, cette fois-ci, pour un recueil de poésies que le régime communiste ne goûta pas… Au Canal il continua à faire de la poésie – seule forme de proteste des prisonniers politiques.

Libéré en 1954, on lui interdit de signer, donc, de publier ses écrits. Il le fit et, en 1958, pour la troisième fois, il fut condamné à 18 ans de prison.

Ses poésies « circulaient » sous le manteau, les frontières n’y étant pour rien.             Et le décret de’ 64 vint. En 1967 il fut réélu membre de l’Union des Ecrivains de Roumanie.

Le poème À Radu Gyr qu’Andrei Ciurunga lui dédia est un hommage des plus vibrants rendu à un camarade de souffrance chez lequel Jésus entra dans la cellule.

 

A RADU GYR

 

Mon camarade de bagne ennemi

Et toi, mon frère de mauvais pain sans blé,

On souffre tous les deux de la même plaie

Et, tous les deux on ronge le même frein.

 

Mais le vent m’envoya, ou peut-être le ciel,

Dans les pleurs des menottes vieilles et rudes,

Une chanson que le geôlier

Ne le vit pas s’évader de Aïud.

 

Quand la nuit noire me couvrait de sa houle,

Ensanglanté par les griffes du délire,

Jésus venait chez moi dans la cellule,

Emmené par mucenicul Radu Gyr.

 

Alors mon corps oubliait toute douleur

Sous Ses yeux tendres qui nous bénissaient

Et dans notre promise résurrection

Les cloches des souvenirs retentissaient.

 

Si les revenants envahirent nos frontières

Et beaucoup d’autres égarèrent la voie,

Nous, on resta sous les murs de la Troie

Et sous le fer du cheval de bois.

 

Les yeux brûlés de flammes et de rêves,

Tous les biens entassés dans le cœur,

Nous attendions Ulysse, enchaînés,

Lui redire l’Iliade par cœur.

 

Chargés de tous les grands vents de la steppe,

Nous marchions sans nous arrêter guère,

Tout droit, car nous sommes comme les jnepes*

Et personne ne regarde en arrière.

 

Nous n’avons pas goûté le Cotnar aux grandes fêtes

Nous n’avons pas rêvé d’un Heidelberg nouveau,

Mais la jeunesse nous fut la grande conquête

Sur la barricade du siècle-hérou.

 

Mon camarade de bagne ennemi

Et toi, mon frère de mauvais pain sans blé,

On souffre tous les deux de la même plaie

Et, tous les deux on ronge le même frein.

 

Car tu es près de moi, ma main pourrait t’atteindre

Et je sens sous l’épine de chagrin,

Une goutte de ton sang chaud qui vient rejoindre

– Et s’entremêler en vers avec le mien.

 

 

JE NE SUIS PAS COUPABLE, MON PAYS !

 

À l’heure où mis en chaînes, dans la prison,

Pour expier la plus lourde peine, je crie,

Le front dans les étoiles, de tout mon cœur :

– Je ne suis pas coupable, mon pays !

 

Je ne suis pas coupable pour avoir

Aimer sa noble et sainte lumière,

Encore moins que les ennemis au cœur noir

Le gaspillèrent et le crucifièrent.

 

Je ne suis pas coupable puisque j’aime

La ronde paysanne, ronde – comme ma terre -,

Et les petits mages nous chanter des noëls

Comme depuis toujours le firent nos pères.

 

Je ne suis pas coupable des moissons

De blé, des grappes de raisin de nos côteaux,

Et que, de me savoir maître de ma maison,

J’y ai reçu tous ceux qui qui avaient besoin d’eau.

 

Je ne suis pas coupable d’avoir crier misère

Et que ma déchirure affola les chacals,

Que je deteste, de Prut, la maudite frontière,

Que mon Ceahlău vaut mieux que les Urals.

 

Si j’ai crié que les meutes nous volaient

Le pain de tous les jours – le pain béni,

Les terres, les bois et le ciel étoilé,

Je n’en suis pas coupable, mon pays !

 

C’est pourquoi, mis en chaînes, dans la prison,

Pour expier la plus lourde peine, je crie,

Le front dans les étoiles, de tout mon cœur :

– Je ne suis pas coupable, mon pays !

 

SIMPLICITE

 

Un jour viendra où l’on parlera de nous

Comme on parle des chênes et des glands,

Les hommes seront lavés de toute boue,

Les enfants d’aujourd’hui seront grands.

 

Les vieux diront, évoquant leurs souvenirs :

– Ils étaient jeunes, ils saignaient de leur plaies,

Les femmes, de leurs mains douces, fragiles,

Par des haillons de chemise les bandaient.

 

Personne ne pleurera près de nos tombes

Comme on ne pleure pas l’herbe fauchée

Ou l’infini d’azur-immensité

Car nous serons alors à tout le monde.

 

Un jour viendra où, de nous, on va parler

Comme on parle des sources et, les hommes

Viendront boire à pleines poignées de l’eau

Que nous fûmes, des fragrances de fraîcheur.

 

INSCRIPŢIE PE O CĂTUŞĂ

 

Îţi simt pe os răceala din inelul

Ce-mi înconjoară vrutul nenoroc,

Brăţara mea turnată din oţelul

Furat din munţi şi biruit în foc.

 

O, cum începe gândul să se zbată

Când îţi privesc destinul închircit,

Că nu-ţi fu dat, cătuşă blestemată,

S-ajungi în mâna neamului cuţit !

 

INSCRIPTION SUR LES MENOTES

 

Je sens sur l’os le froid de ton anneau

Mon bracelet d’acier, mon porte-malheur !

Ton fer, pris des montagnes et mis au feu

Déchire de ses griffes mon pauvre cœur.

 

Ô, combien me brûle-t-elle, ma pensée

Quand je regarde ton destin hideux

Que tu ne fus devenu, maudit bracelet,

Dans la main de mon peuple, couteau !

 

DANIIL L’HERMITE

 

Venu dans une vallée de rivière

Des monts, comme le poète l’écrivit,

Le Prince Etienne Le Grand de Moldavie

Dit à l’Hermite que les gens oublièrent :

 

– Quand j’ai senti qu’il n’y a plus de paix

Sur la terre du pays, de toute ma terre,

A Putna, de la tombe je m’ suis levé

En renversant cinq siècles de colère.

 

Que se passe-t-il ? Je n’y peux rien comprendre

De ce que je vois, ma raison le refuse :

L’ancienne frontière est-elle à vendre ?

Volée la Moldavie ? Par quelle ruse ?

 

Vendîtes-vous, par malheur, aux foires du temps

Aux hordes avides, une partie de nos terres ?

Tous les trésors du monde ne valent nullement

Le moindre coin de notre sainte terre.

L’acier de vos boucliers s’est-il peut-être

Rouillé depuis les quelques siècles de bel âge,

Que les ennemis purent librement commettre

De leurs maudites flèches, un tel carnage ?

 

Pourquoi les cloches ne sonnent-elles plus à Putna

A l’heure des vêpres, ô, les cloches ravies !

Toi, tu te tais, mon vieux ou, les grands froids

Eteignirent-ils en toi la flamme d’ la vie ?

 

Tard dans la nuit, sous les pâles paupières,

Les yeux du vieux – fontaines de sagesse,

S’ouvrirent : Vous êtes là, Votre Altesse ?

J’étais en train de faire ma prière.

 

Cessez de croire que vos garde-frontières

Perdirent la tête en devenant des fous

Et qu’ils vendirent nos terres pour quelques sous !

Enlevez donc de vous cette pensée trop amère.

 

Ils sont en chaînes, sous le joug des bourreaux,

Près du tréfonds de mer, sous les fouets,

Mais ceux qui les fouettent ce sont des étrangers

Non pas des nôtres, gloire à Vous, Dieu !

 

Mon Prince, réjouissez-vous, tous vos archers

Sont prêts et ils n’attendent que le moment

Qu’on leur ordonne : – Allez-y les gars !

Et, la lance à la main, ils S’élanceraient.

 

Et, parmi toutes les hordes ennemies

On passerait, puis, les fleurs dans les bras,

Prince Etienne, personne ne pourra

Nous arrêter d’ reprendre notre pays.

 

On va bâtir ensuite un monastère

Pour vous, sous la large bâche de l’horizon,

Pour que tous les bons hommes de notre terre

Rentrent communiés à la maison.

 

Canal du Danube-la Mer Noire, 1952

LITURGIE

 

Nos années suppliciées,

Nos années meurtries, amères,

Te firent naître, cimetière

De cette terre oubliée.

 

On nous porta des prisons –

Esclaves dans la steppe damnée,

Pour y arroser les fleurs

De nos larmes de rosée.

 

De nos corps à travers champs,

Nous, on creusa des chemins

Pour les vagues du Danube bleu,

À nos yeux, couleur chagrin.

 

Nous voilà aujourd’hui –

Sans cercueil, sans tombe, sans croix.

Que la paix soit avec toi

Cimetière sans liturgie !

 

Les cierges n’y brillent jamais,

Les cloches n’y sonnent même pas,

Plus de haies, plus d’ barbelés

Personne ne s’en évade pas.

 

Parfois des anneaux d’ lumière,

Paissent l’herbe qui fut jadis

On ne sait plus quel père,

On ne sait plus quel fils.

 

Il pleut du ciel aux étoiles,

La lune verse ses rayons,

L’herbe couvre de son voile

Les reposants sans haillons.

 

Demain viendra peut-être

La loi du grand jugement.

Ne tardez pas, Dieu, ces êtres

L’attendent de trop longtemps.

 

Nos années suppliciées

Font le guet. Que la paix soit

Eternellement avec toi,

Cimetière oublié !

 

Selecţie, traducere, note şi prefaţă Paula ROMANESCU