Gheorghe  PITUŢ (1940-1991)

 Sphinx en marche (Sfinx umblător)

 

La mort ne vient pas souriante

quoique les maîtres de la mort

écrivirent qu’elle fut vue aux portes

sous mille visages de filles mirobolantes ;

 

elle travaille sans arrêt, triomphante

comme elle l’est de sa propre mort

et de l’accomplissement du sort

de toutes les formes de vie errante.

 

Elle nous vient donc comme un être

vivant et bien impitoyable

car dans l’éternité, ce maître

nommé homme, être redoutable,

osa, même en mourant, d’y être

avant qu’il soit bien trouvable.

 

Noblesse  (Nobleţe)

 

La couleur de la mort c’est la

beauté des feuilles fanées qui tombent

depuis mille ans sans la moindre ombre

de haine, avec pour tout émoi

 

l’air de tendresse du temps – roi sombre,

bourreau nomade, noble et froid

qui nous apprend le tout s’en va,

paisiblement, comme un tronc d’orme.

 

Les anonymes soleils  gris noirs

ressemblent aux feuilles mortes qui s’égarent

mais nous, nous, les porteurs d’étoiles

 

par lesquelles notre esprit sépare

les vases vivants de vases morts,

on chante les éclats de l’erreur.

Reste (Rămâi)

 

Nigaud ou philosophe, qu’importe !

Reste comme tu l’es depuis toujours,

il n’y aura ni nuit ni jour

à ne pas regretter la porte

 

du temps qui passe, mauvaise escorte,

où qu’il s’en aille même à rebours,

avec Anabel Lee d’amour

le cœur brisé sous l’étoile morte.

 

D’un jour à l’autre ne change plus,

s’il faut mourir, vaut mieux soudain

sinon tu connais le déclin

 

de pauvre chien la corde au cou

à un rêve de pain suspendu

quand les loups errent sous les sapins.

 

Message  (Solie)

 

La solitude est un miroir –

plaine où un pauvre homme seulet

se ressemblant à un pommier

étrange qui marche sans le savoir.

 

la route est courte comme un fil noir

qui lie atome d’atome lorsque

Absalon pend au chêne sacré

rêvant d’une méritée victoire.

 

Forger des plans dans la tristesse

c’est propre à l’homme au destin triste

et, l’infinie délicatesse

 

de croire, tant que la terre existe,

qu’on peut vivre en idéaliste,

seule la mort nous l’apprend sans cesse.