DIEU EST NÉ EN EXIL
Exilée en soi-même glissait la Solitude
personne ne la reconnaissait
ni l’ombre des choses
ne la recevait sous ses ailes transparentes
ni l’étoile de la nuit ne lui montrait
la voie vers les aubes qui sont en retard.
On ne voyait que la déchirure incessante
des bourgeons de printemps
comme si la neige lente tombait des cieux
et avait l’air d’un vol des anges.
On n’entrevoit qu’une larme
qui rend visible l’âme solitaire de Jésus sur la croix
lui qui ne se sent pas damné, mais quitté
par la foule émergée d’inconsistance.
Toi, tu es l’Étranger
qu’on ne reconnait pas
ont-ils crié, les voisins,
envahis par la nuit d’une haine inouïe.
On ne comprend pas tes paroles.
Sur la voie des errants
personne ne t’a rencontré
et ton nom de baptême est presque fané
ou en vain invoqué
dans la mémoire des chrétiens.
Ton apparition est plus étrange
que le temps voleur de notre vie
plus étrange que le temps dissipé
en nos instants fugaces
plus étrange que les noms
qu’on donne aux choses et à nos âmes
plus étrange que l’ombre
des nuages sur la terre.
Mais, tout d’un coup, inattendu,
Comme si les fleurs du paradis
frémissaient quand le regard
de quelqu’un cherche leur sourire,
on retrouve la raison d’être
et nous donnons un sens à la vie.
En même temps l’absence furtive
se glisse en chaque âme des terriens
et elle fait frissonner la Solitude
en récupérant même les instants perdus
quand le Solitaire fait son apparition.
Mais nous L’avons oublié sur la croix
notre vie c’est l’écho de sa voix
aussi, comme dans les icônes,
transfiguré,
c’est notre visage ressuscité.
Monastère d’Agapia
Dimanche, le 30 mars 2014
DUBLIN SELON JOYCE
Il y a un siècle, à Dublin, deux mots étranges
ont fait peur au garçon des nuits blanches
qui lisait dans la solitude des âmes errantes
et qui se rendait presque invisible
sur les traces des figures
au beau temps de vacances.
Le jeune homme a pris tous les noms
des habitants en éternel mouvement
surpris d’une sainte nostalgie
quand il se trouvait tout au centre de la vie
comme s’il s’agissait de la spatiale géométrie
ou comme un apprenant de la Simonie.
Tout d’un coup, vous allez imaginer
la fenêtre par où l’auteur a vu s’illuminer
les visages des passants
accablés par des échos et des chants
aux réunions de si belles tantes
qui ont l’air des Trois Grâces
et où l’on a appris que la beauté
n’avait de prix, ni pour Paris
ni pour Ulysse, comme un fils prodigue
sur la voie de nos ancêtres
ressuscités dans le grand livre de l’oubli.
Il n’y a que la voie vers Trinity College
qui est la place de l’esprit irlandais
et vers lequel se dirige comme une flèche
cet aspirant à l’éternité vivante.
C’est ici que James Joyce a eu la révélation
de l’espace dans le temps
dans le temps d’autrefois
et où les trois qualités des Irlandais
l’hospitalité, l’humour et l’humanité
se trouvent comme chez soi.
En utilisant le verbe espacer
au lieu de localiser
d’offrir place, c’est-à-dire,
à l’amour, au-dessus de tout
ce qu’on nomme toujours.
Chaque fois qu’on tourne la page
on entend leurs voix prises à l’entourage.
Et nous, comme lecteurs de leurs vies
nous sommes tout de suite surpris
par l’expression de leur art d’admirer
ce qui reste dans nos âmes cachées.
Un code secret anime leur vie
et leur enthousiasme inouï
une si subtile intimité dévoilée
par leur gestes et répliques spontanés.
À Dublin, J.J. fait son portrait de jeunesse
c’est ici qu’il se prépare
pour le long voyage vers Ithaque
et son départ vers Trieste
annonce les aubes de l’Europe
dont les racines s’enrichissent
dans l’attente fidèle de Penelope.
Dublin c’est aussi le carrefour
des esprits qui ont renoncé
à leur vie quotidienne
et à leur statut précaire.
La vision trinitaire de James Joyce
confère aux infidèles lecteurs le privilège
de connaître l’unicité de chaque être
torturé par d’inattendues pensées
lesquelles sont en même temps sauvées
grâce à un auditoire comblé
de leur propre vie transfigurée.
Et, nous, tous, enfin, nous voilà
heureux arrivés à Dublin
comme Ulysse autrefois.
Monastère d’Agapia, Dimanche, le 30 mars 2014