Georges SIMON

DIEU EST NÉ EN EXIL

Exilée en soi-même glissait la Solitude

personne ne la reconnaissait

ni l’ombre des choses

ne la recevait sous ses ailes transparentes

ni l’étoile de la nuit ne lui montrait

la voie vers les aubes qui sont en retard.

On ne voyait que la déchirure incessante

des bourgeons de printemps

comme si la neige lente tombait des cieux

et  avait l’air d’un vol des anges.

On n’entrevoit qu’une larme

qui rend visible l’âme solitaire de Jésus sur la croix

lui qui ne se sent pas damné, mais quitté

par la foule émergée d’inconsistance.

Toi, tu es l’Étranger

qu’on ne  reconnait pas

ont-ils crié, les voisins,

envahis par la nuit d’une haine inouïe.

On ne comprend pas tes paroles.

Sur la voie des errants

personne ne t’a rencontré

et ton nom de baptême est presque fané

ou en vain invoqué

dans la mémoire des chrétiens.

Ton apparition est plus étrange

que le temps voleur de notre vie

plus étrange que le temps dissipé

en nos instants fugaces

plus étrange que les noms

qu’on donne aux choses et à nos âmes

plus étrange que l’ombre

des nuages sur la terre.

Mais, tout d’un coup, inattendu,

Comme si les fleurs du paradis

frémissaient quand le regard

de quelqu’un cherche leur sourire,

on retrouve la raison d’être

et nous donnons un sens à la vie.

En même temps l’absence furtive

se glisse en chaque âme des terriens

et elle fait frissonner la Solitude

en récupérant même les instants perdus

quand le Solitaire fait son apparition.

Mais nous L’avons oublié sur la croix

notre vie c’est l’écho de sa voix

aussi, comme dans les icônes,

transfiguré,

c’est notre visage ressuscité.

Monastère d’Agapia

Dimanche, le 30 mars 2014

 

DUBLIN SELON JOYCE

Il y a un siècle, à Dublin, deux mots étranges

ont fait peur au garçon des nuits blanches

qui lisait dans la solitude des âmes errantes

et qui se rendait presque invisible

sur les traces des figures

au beau temps de vacances.

Le jeune homme a pris tous les noms

des habitants en éternel mouvement

surpris d’une sainte nostalgie

quand il se trouvait tout au centre de la vie

comme s’il s’agissait de la spatiale géométrie

ou comme un apprenant de la Simonie.

Tout d’un coup, vous allez imaginer

la fenêtre par où l’auteur a vu s’illuminer

les visages des passants

accablés par des échos et des chants

aux réunions de si belles tantes

qui ont l’air des Trois Grâces

et où l’on a appris que la beauté

n’avait de prix, ni pour Paris

ni pour Ulysse, comme un fils prodigue

sur la voie de nos ancêtres

ressuscités dans le grand livre de l’oubli.

Il n’y a que la voie vers Trinity College

qui est la place de l’esprit irlandais

et vers lequel se dirige comme une flèche

cet aspirant à l’éternité vivante.

C’est ici que James Joyce a eu la révélation

de l’espace dans le temps

dans le temps d’autrefois

et où les trois qualités des Irlandais

l’hospitalité, l’humour et l’humanité

se trouvent comme chez soi.

En utilisant le verbe espacer

au lieu de localiser

d’offrir place, c’est-à-dire,

à l’amour, au-dessus de tout

ce qu’on nomme  toujours.

Chaque fois qu’on tourne la page

on entend leurs voix prises à l’entourage.

Et nous, comme lecteurs de leurs vies

nous sommes tout de suite surpris

par l’expression de leur art d’admirer

ce qui reste dans nos âmes cachées.

Un code secret anime leur vie

et leur enthousiasme inouï

une si subtile intimité dévoilée

par leur gestes et répliques spontanés.

À Dublin, J.J. fait son portrait de jeunesse

c’est ici qu’il se prépare

pour le long voyage vers Ithaque

et son départ vers Trieste

annonce les aubes de l’Europe

dont les racines s’enrichissent

dans l’attente fidèle de Penelope.

Dublin c’est aussi le carrefour

des esprits qui ont renoncé

à leur vie quotidienne

et à leur statut précaire.

La vision trinitaire de James Joyce

confère aux infidèles lecteurs le privilège

de connaître l’unicité de chaque être

torturé par d’inattendues pensées

lesquelles sont en même temps sauvées

grâce à un auditoire comblé

de leur propre vie transfigurée.

Et, nous, tous, enfin, nous voilà

heureux arrivés à Dublin

comme Ulysse autrefois.

Monastère d’Agapia, Dimanche, le 30 mars 2014