Mircea MICU  (1937-2010)

En automne chez nous  (Acasă, toamna)

 

Je ne vois rien, je ne sens rien,

Toute la forêt c’est du chagrin.

Ils le pressentent, les peupliers

Qui tremblent au vent en vrais fiancés.

 

Dans les jardins, fumée étrange

Comme un soupir de mauvais anges.

 

Ma mère n’est que sourire perdu

De vieux cerisier vaincu.

 

Ma douleur comment la crier ?

Je reste sans mot, la bouche fermée.

Dans ma poitrine, le déchirement

Y plonge son froid couteau d’argent

 

Mais je sais bien que ce mystère

À le saisir il n’y a qu’elle.

Je ne vois rien, je ne sens rien,

Toute la forêt c’est du chagrin.

 

Rarement (Rar)

 

Trop rarement et, sans raison peut-être,

Je chante encore un saule au feuillage vert.

La ville immense, fatigante et neutre,

Dans sa fumante somnolence me perd

En grise couleuvre qui marche à l’envers.

 

Comme à mon grand-père, à l’aube je suis debout ;

Par la sueur de la nuit attaché.

Le miroir me reflète : C’est moi cet inconnu

Qui, en ayant assez de smog et de péchés

Se donnerait bien la mort pour un épi de blé ?…

 

Être  (A fi)

 

Être sur la tombe de l’été

Comme un amour séduit de vivre,

poulain qui hume la clarté,

sauvage, et inouï, et libre ;

croire que la mort n’existe pas,

que les morts sont un peu comme des

papillons endormis en chant,

enfermés dans des billes d’acier ;

être oublié par les amis,

être aimé par qui l’on veut,

quand viennent souffler sur toi, la nuit,

fragiles, les troupeaux d’agneaux ;

être dans une prairie lointaine,

sans smog ni voitures de jadis,

toujours en garde, luttant dans l’air

avec les frêles épées de lys ;

savoir bien que le sein tendre

coulé en porcelaine éternelle

s’écroule jusqu’à devenir un jour

une tombe au lait maternel ;

et, sur tout ça, comme un jeune tigre,

passer, superbe, insouciant,

et, quand l’hiver te blesse de givre,

Accueille-le une fleur aux dents.

 

Rêves-tu encore de moi ? (Mă mai visezi ?)

 

Rêves-tu encore de moi, maman,

parmi les fleurs à l’heure du soir,

petite mère d’herbes et de brouillard ?

 

Les coings s’éteignent en pâlissant ;

dans la crypte de l’automne d’argent

tu ne mens pas, moi, je te mens.

 

Comment vas-tu en ce trop tard,

de ta fenêtre me voyant

venir vers toi toujours vivant ?

 

Ouvres-tu la vieille armoire

revoir ton voile de mort tout blanc

en m’attendant bien sur le tard ?

 

Peut-être ta vieillesse – que sais-je ? –

ne soit-elle triste (ô, maudit piège !)

quand tu la portes sous la neige…

 

Sors-tu la nuit dans le jardin quand

tous les souvenirs vont grandissant,

petite mère d’herbe et de vent ?

 

Joues-tu encore avec les chats

pour oublier un peu de moi ?

Dans le troupeau d’agneaux de soie

Rêves-tu encore de moi ?…