la conféssion d’un auteur de haïkus
je suis un homme commun mais je crois que l’humanité a quitté le droit chemin et passe
par une crise spirituelle profonde
et j’ai dit à monsieur le rédacteur en chef qui m’invite aux lancements
de livre
que j’avais abandonné l’écriture et la littérature
je ne sais pas si mes plaquettes de haïkus et de méditations zen
intéressent encore quelqu’un – elles ne disent plus rien aux jeunes gens –
mais moi je ne peux plus lire ce qu’on écrit aujourd’hui
sous l’influence de la technique et de l’ordinateur :
quand j’ai vu les sottises que M. Leac avait écrit sur moi
(qu’il ne se fâche pas !)
j’ai fait une crise j’ai rompu le livre et je l’ai jetté dans la corbeille.
je vous estime énormément et vous et M. Sava
un jour il m’a arrêté dans la rue pour me montrer quelques livres
il m’a laissé un instant avec eux dans la main et il ne sait pas qu’est-ce qu’il a risqué
parce que je ne comprends pas les vulgarités de la bohème
et je ne supporte pas dans ma bibliothèque des livres indécents
avec des femmes nues sur la couverture et les autres
donc je vous prie monsieur le poète de ne m’offrir plus ni
vos recueils parce qu’ils me nuisent
et m’écoeurent
quelques-uns me transmettent des énergies négatives
voilà vous aussi n’êtes pas en assez bonne situation avec votre aura
je la vois
pardonnez-moi car je ne peux pas vous donner une poignée de main
au revoir
mutant
lors d’un rendez-vous avec les élèves de quatrième
après ce que le poète leur a parlé sur les auteurs locaux
et sur la poésie
sur le peintre de la petite ville de frontière
un enfant timide a levé la main
dis – l’institutrice l’a encouragé
moi je ne veux devenir ni poète ni artiste
a dit le garçonnet aux lunettes
mais qu’est-ce que tu veux devenir ?
je suis mutant et si je fais la culbute
je me transforme en âne
et je vous frappe avec le sabot
je me suis adapté à la vie de souterraine
voyageant beaucoup avec le métro
je me suis adapté à la vie de souterraine
bien que je sache qu’au-dessus de moi
le destin d’un peuple décadent se dessine
(liberté égalité télé)
au-dessus de moi la ruche délirante grouille
celle des chercheurs de petits jobs
et des badauds de tous les méridiens du monde
même ici dans les artères du vieux Paris.
je sors à la surface et je découvre le décor d’opérette
des monstrueux monuments :
la tour ramollie qui attire des suicidés
la méfiante place de la Concorde
et Grand Palais avec sa bosse de verre.
du quai j’observe le serpent jaune de la Seine
je cherche quelque chose peut-être la terre promise
ou le berceau flottant qui porte mon corps
et ne s’arrête plus.
combien l’âme pèse
combien de fois j’entre dans le cabinet
de madame dr. Lemonier
de l’Hôpital Saint Antoine
non loin de la Colonne de Juillet
elle me pousse sur la balance
et me gronde amicalement
pour les kilos de trop.
ensuite elle tâtonne attentivement mes ganglions
d’un geste presque érotique.
et moi, je retiens ma respiration
comme pendant une mort mélodramatique sur la scène.
son visage semble dire :
l’essentiel ne se voit pas à l’œil libre
elle est vivante et encore belle
moi pâle et à moitié mort
et dans son œil je lis
environ combien l’âme pèse.
plus forts que le bronze et les couvercles de fonte
maintenant la place se pare en habits de fête
en couleurs tendres et joyeuses
(le poète avait beaucoup de choses à reprocher
à ce monde et à ceux qui le gouvernaient.
ainsi que plus d’une fois il a exprimé son désir
de le quitter. par exemple il les accusait d’amasser
des bouteilles et des pots des nombreux et pauvres
et de les donner à ceux qui sont en moindre nombre et riches)
car la ville d’Arad comme toute ville royale
rassemblait des gens de partout
quelques-uns savaient écrire
des autres lire.
les autres vendaient des journaux.
elle les avalaient de pair avec leurs vies comme Saturne
et ensuite crachait leurs os
directement devant les monuments
de la place de la Réconciliation
plus forts que le bronze et les couvercles de fonte.
Versiunea în limba franceză de Elisabeta BOGĂŢAN