Ştefan Aug. DOINAŞ (1922-2002)

OMUL CU COMPASUL / L’HOMME AU COMPAS

(vol. Omul cu Compasul, 1966)

 

J’ ai esquissé hier soir, à fleur de sable,

une belle formule d’un nouvel ordre qui,

contienne l’image des choses immuables,

visage secret et sans ruine acquis.

 

Je tâche de capturer dans cet anneau

la rotation des astres dans l’espace :

ici, Cercle magique, médaille de feu,

qui se nourrit de soi- même, vorace.

 

Et au-delà, comme un symbole sacré,

gerbe de rayons sortis d’un clair sceptre :

le vif Triangle vers lequel je vais

au tintement des cloches, pour les vêpres.

 

Rien ne surprend comme étant authentique

et différent de ces formes permanentes,

ni la corolle de ces lys héraldiques,

ni des cristaux, la foudre éclatante.

 

Ces formes, tout comme la flûte ou le hautbois,

seront remplies toujours d’un chant auguste,

car le contour de l’ être ne se voit

que lorsque leur mesure s’avère juste.

 

Et c’est ainsi que je croyais à l’ heure

du coucher, sous les étoiles, quand je serrais

auprès de moi, mon beau Compas, mon ingénieur

des harmonies, des vols sublimes mon échassier.

 

Combien de siècles se déclinent à l’heure

où le sommeil enlace la fausseté…

des formes claires d’ hier, ne demeure

hélas, entière aucune, inaltérée.

 

Chaleurs du noir enfer, pluies ténébreuses

arrivent à l’aube et envahissent le monde.

De mauvaises herbes pareilles aux mers houleuses

agitent sur la rive feuilles furibondes.

 

Tuyaux difformes, racines ensablées

blessèrent mon idéal réceptacle,

en ruinant sa transparence relevée

pour qui je fus, hélas, un humble oracle.

 

– Mer convulsive qui sursaute au ciel,

qu’ as- tu changé la place des précipices ?

Au lieu d’entendre en haut le chant du sel,

c’est le frou- frou des monstres qui frémissent.

 

La trajectoire des astres est de travers,

les lois de la nature sont abolies,

depuis que le beau Cercle est couvert

par la charogne pourrie d’une petite souris.

 

Las ! cette étoile s’en va vers le déclin

et les cristaux se sont brisés et saignent,

sordides, les eaux s’ écoulent aux confins

en maculant les fleuves qu’ elles atteignent.

 

Au coeur de ce déclin je me nourris

En attendant l’heure où les fleurs des prés

Qui poussent comme les grenouilles soient pourries

Afin que mon Compas n’en soit plus dérangé.

 

À ce moment, frappant le sable de sa pointe,

Vont apparaître les mêmes signes d’ hier,

Tout en gardant une éternelle empreinte

Des choses immuables d’un monde éphémère.


ULTIMELE POEME / LES DERNIERS POÈMES

TREI FEŢE / TROIS FACETTES

(in : Secolul 21, No.1-6/ 2003, p.21)

 

Les trois facettes d’ un diamant : l’ Idée,

l’ Image, le Son. Toute ma vie

je me suis demandé comment Dieu réussit

de faire de trois facettes : une Unité.

 

Je joue avec un minéral cristal et j’ ose

de le polir en trois facettes : car j’ imagine

un être qui soit à la fois : conscience

qui fasse sortir des sons et qui ait un visage.

 

Lui, Il l’ a fait. Moi, pourquoi pas ?

Prenez ce son : en voilà l’Idée, elle, qui devient

Image. Et, toutes les deux, elles chantent.

 

Somme toute : oreille, raison, rétine

fêtent toutes les trois la même mise au monde,

et le Poète, lui, qui les a fait naître, vous remercie.

 

Version française par Constanţa NIŢĂ