Tudor ARGHEZI (1880-1967)

CEL CE GÂNDEŞTE SINGUR (vol. Cântare Omului, 1956) / CELUI QUI PENSE SANS TRÊVE (vol. Hommage à l’Homme)

 

Celui qui pense sans trêve en perçant la lumière,

Inventa la machine, un nouvel Homme de fer.

Être issu des noces du Rêve avec l’ Idée,

Maintes fois plus forte, hélas, que son bras et ses pieds.

 

Ça sert à sillonner la Terre de long en large,

Pour que les hommes, enfin, par milliers s’en déchargent.

Moulins, outils, puits, scies, fourneaux à chaude matière…

Un tube fournit la flamme, un fil d’acier… lumière.

 

Une lampe envoie des voix et des nouvelles en l’air :

C’est que l’ homme a acquis des pouvoirs légendaires.

Et le lointain devient plus court qu’un simple pas,

Quand notre voix s’entend bien, étant à mille pas…

 

On parle au bout du monde tout en étant chez soi,

La Seconde dépasse le siècle, le Temps se plie et ploie

Sur une ficelle mince comme un cheveu, de sorte

Qu’ un bout de fil même l’infini et l’éternel supporte.

 

Débile, avec des ailes, il s’ élève jusqu’ aux cieux,

Pour qu’il apporte des preuves et des lois de là- haut.

Il descend aux abîmes, d’un casque rond coiffé,

Les fonds des océans sont tour à tour fouillés.

 

Il traverse tourbillons, des rochers, des glaciers,

Et en revient maintenant, étant parti hier.

Il n’en fut ni brûlé, ni durci par le gel,

Étant chez soi sur Terre, la fiancée du Ciel.

 

Auprès d’ Argeş, sa pipe est fin prête allumée :

Elle brûle encore aux Indes, quand il vient d’arriver.

Le pain cuit au four, doucement, dans un recoin,

Arrive frais au Pôle, régale les pingouins.

 

En héritier de Prométhée, lui, l’ homme,

S’ est emparé du secret des secrets : de l’ atome.

Celui- ci est à même en moins de deux secondes,

De faire couler à fond ou rajeunir le monde.

 

Voici venir le temps, mon vieux frère, de renaître :

D’ esclave et vieux valet, que tu agisse en maître !

 

 


NĂSCOCITORUL / L’ INVENTEUR

(vol. Cântare Omului, 1956 / Hommage à L’Homme)

 

Outils, engins, machines – que tu as inventés

Tous ont rendu ta volonté plus acharnée.

Juste au moment où tu étais plus frêle

Ton bras débile, enfin, devient plus téméraire.

 

Cherchant en vain et toujours essayant,

Tu as trouvé la hache, le couteau, le tranchant,

Ainsi que la perfide scie,

Ton compagnon et ta souris

Qui glisse sa taille à travers les forêts

Afin qu’elles soient fendues en poutres et plancher.

 

Et la faucille, inventée pour les blés,

Pour que Marie s’en serve, sous les feux de l’été.

Elle fut partie à l’aube, la lune dans les peupliers,

Et elle rentre le soir, sur les gerbes de blé.

 

 

Mais qu’ as- tu inventé

À un moment donné ?

La pauvre aiguille, féline,

Plus leste qu’une petite épine.

 

Le petit rien actif, agile comme un criquet,

S’agite et court en hâte pour coudre et ourler.

Depuis des millénaires les gens sont habillés

Par ce génial machin qui vaut un sou percé.

 

Comme l’ araignée, tu inventas la soie, le fil à coudre

Dont on se sert toujours aux Indes, ainsi qu’à Londres.

Et la farine blanche du pain de la cité,

Que tu en sois réduit à la mendicité.

 

Toi, un esclave, un brin de vie et un mortel.

Niché dans ton pays, se crevant la cervelle,

Hardie, celle-ci inventa la roue, la fidèle.

N’oublions pas la vrille, la bêche, ou bien, la pelle,

La corde, le fil de fer et même la chaîne rebelle.

 

Tu inventas aussi le subtil canot,

Habile à percevoir la mer et ses flots…

Le danger te menace et tu le cherches d’urgence,

Tu as l’oreille au guet et pressens sa présence.

 

Version française par Constanţa NIŢĂ