Radu STANCA (1920-1962)

ARGONAUTICĂ ( „Cina cea de dragoste”, 1965 )

ARGONAUTIQUE ( „La Cène d’amour” )

 

Les choses de ce monde-ci, à tout moment,

Sont comme le jonc, pliées par tous les vents.

Il n’y a, en plein vent, que notre amour

Qui, se tenant tout droit, attend toujours.

 

Il se détache de tentations et de serments,

En repliant ses ailes soigneusement,

Et, du sommet du mât, juste de là-haut,

Domine la mer au large et le fléau.

Nulle vague ne peut détourner ses regards ,

Nul son ne parvient à lui faire un écart ;

Parmi les brumes légères du firmament,

Ses cheveux dorés seulement ondoient au vent.

 

Autour de lui, de gros orages soufflent

En ravageant, tout assoiffés, les gouffres.

Mais cela ne fut qu’en vain, car à la fin,

Mêmes les grands eaux reculent dans son chemin.

 

Et le voilà dans son passage si clair

À l’aise se glisser sous les éclairs,

Image inaccessible, haute et sainte,

Par toute ruine voisine non-atteinte.

 

 

PEISAJ/ PAYSAGE (Cina cea de dragoste/ La Cène d’amour)

 

Ma bien-aimée est comme un saule pleureur :

Je coule au-dessous, telle une rivière féconde

Tantôt plongée dans des vallées profondes,

Tantôt paisible dans mon lit et ma lenteur.

 

Du haut de mes montagnes solitaires,

Je lui fais don, de mes paumes éphémères,

Mes rêveries – telles des chaloupes légères

Et mes tristesses – telles des poissons bleu-clair.

 

Couchée au-dessous d’elle, mes eaux balancent

Ses longs bras et cheveux entrelacés,

Et sur sa bouche, que j’avais tant cherchée,

Telle une cascade, ma bouche d’eaux se lance.

 

Tout ensablée dans de grosses alluvions

Et murmurant dans des coquilles sublimes,

Sous la torture des rêves, à sa racine,

Je creuse des grottes nocturnes : mes passions.

 

Et en été, lorsque je suis si claire,

Je jette des gouttes d’argent sur ses chevilles,

Mais en automne, quand les chimères vacillent,

Je l’enveloppe doucement de mon mystère.

 

 

Sur ses genoux je couche ensuite mon front…

Ainsi je gèle pour un hiver entier,

Quand un passant traverse le pont à pied,

À peine je l’ entends dans le silence profond.

 

Ma bien-aimée est comme un saule pleureur,

Je passe au-dessous d’elle comme une rivière,

Mais, incitée parfois par son mystère,

Mes eaux débordent comme folles et montent sur l’heure.

 

Version française par Constanţa NIŢĂ