Ion OMESCU  (1927- 2000)

Poète, acteur, dramaturge, metteur en scène, il fut condamné au travail forcé au Canal du Danube, mis en liberté, ensuite condamné à nouveau d’avoir écrit ses mémoires, pour 8 ans de prison. Libre en 1964, par le décret d’amnistie génerale des prisonniers politiques. Il quitta le pays et s’établit en France où il mourut.

 

SERMENT

Nous, on jure sur le charme des Fleurs de moisissure[1],

Sur l’Etoile – Hypérion nommé Mihaï[2], on jure

Sur les Anémones[3] et sur les chars aux boeufs[4],

Sur vous, Saints Hiérarques[5] et sur les tours d’Argeş[6],

Que jusqu’au bout des temps nos coeurs resteront fidèles

À la Maïastra et à la Colonne sans fin[7].

 

 

PRIERE À HYPERION

 

Ni ombres, ni épines, ni plaies ne sont à vendre.

Permets que des larges cieux en cloche cassée de cuivre,

Tombe sur l’oeil qui raisonne une goutte d’éternité,

Sur la main déchirée par les rochers du livre.

 

Aide-moi, fais-moi renaître des passions et du temps.

Que les souvenirs fleurissent en épi sous ma peau,

Dans mon cœur la lumière affronte le néant

Et sur mon épaule gauche descend le temps-corbeau.

 

Donne-moi les clés en cuir des portes de la cité,

Montre-moi comment tue le verbe et, à chaque nuit,

Comment fait-il renaître sous les voiles de papier,

De la grande hécatombe, fantômes d’espoir, de vie.

 

Apprends-moi à écrire sur le tableau des prés,

Sur les feuilles de laurier, sur la pierre des tombes.

Fais-moi rentrer chez Toi, le corps nu et muet,

Et laisse mon âme chanter à jamais dans le monde.

 

 

INSCRIPTION SUR LA PORTE DE L’ENFER

 

Ôte tes chaussures, solitaire étranger.

Ici commence le pays sans cieux.

La sottise, dans ses fers m’a lié

Et la haine m’a brûlée de ses feux.

 

Vieille comme le monde et comme la terre,

Je suis de ceux qui n’ont jamais de fin

 

Je suis contemporaine au Verbe, à la lumière

Mais je suis née du tout premier chagrin.

Par moi on entre dans l’oubli, dans l’ombre.

Par moi on entre au pays des morts.

Par moi on ferme le cercle de ce monde

Et on perd tout espoir d’y retourner encore.

 

 

INSCRIPTION SUR UNE MENOTTE

 

Mon bracelet de chemin et d’arrêt,

Bénis soient-ils tes noirs carats de cuivre !

Dans le pays où la raison se tait,

Les mains liées, je suis beaucoup plus libre.

 

 

PROMÉTHÉE

 

Je suis toujours là et, enchaîné toujours.

Pourquoi ne comprîtes-vous jamais mon sort ?

Pas le cri, pas le bras de quelconque dieu vainqueur,

C’est vous qui envoyez sur ma pierre le vautour.

 

Je suis toujours là, quelque part, sur une pierre.

Héraclès ne vint pas, il n’y viendra non plus.

Chaque fois où vous allez ignorer la lumière,

Un vautour viendra frapper ma chair vaincue.

 

 

MANOLI À SES APPRENTIS

 

C’est là qu’on va bâtir une cathédrale

Aux saints fragiles habillés de bonté,

D’or et de marbre en parties égales

Et, de nous tous périra une moitié.

 

Suivez-nous vers les étoiles du large,

Grands maîtres, et maçons, et apprentis,

Là-haut sur la toute dernière marche

La terre semble taupière de fourmis.

 

Laissez la douce chaleur de l’oreiller

Et le miel des péchés éphémères

On nous attend la suprême liberté

Dans l’azur aux clartés éternelles.

 

 

BALLADE DES PÂLES VISAGES

 

Courbés sous le poids de leur amertume,

Les tristes chevaliers, on les voit toujours,

La nuit leur cueille les corps et la lune

Déchire leurs ombres sur les plaies des murs.

Où laissèrent-ils épées, gloire, aubade ?

Où va-t-il ce triste convoi inouï ?

Chevaliers aux mailles grises de saleté,

La chair s’amoindrit, le cœur est malade,

Pleine d’épines la voie vers le Paradis.

L’allée des nuits noires mène à l’infini.

Pour qui gardez-vous les tristes trophées

Quand votre sourire crie neurasthénie ?

 

Le corps étendu sur le paillasson-

Drôle de panoplie, sur terre ils reposent.

On dirait qu’ils rêvent d’un parfum de femme

D’une fragrance de lys et de tubéreuses.

 

Demain les chevaliers aux pâles visages,

Reprendront leur voie, nobles, solitaires,

La force amoindrie, le regard sauvage,

Suivant le fantôme des beaux jours d’hier.

[1] Titre d’un livre de poèmes de Tudor Arghezi (1880-1967)

[2] Mihaï Eminescu (1850-1889) fut surnommé Le Hypérion de la poésie roumaine, selon le poème homonyme.

[3] Peinture de Stephan Luchian

[4] Peinture de Nicolae Grigorescu)

[5] Eglise de Iaşi, chef d’oeuvre de l’architecture roumaine

[6] Lire la légende « Le monastère d’Argesh », chef d’oeuvre de la poésie populaire roumaine.

[7] Célèbres sculptures de C. Brancusi (1876-1957)