Professeur, journaliste, poète, né à Cahul, en Bessarabie, il se réfugia en 1944 à Braila. En 1945 il fut arrêté pour avoir écrit un article anticommuniste publié en « Expresul ». Libéré, il est à nouveau arrêté en 1950, cette fois-ci, pour un recueil de poésies que le régime communiste ne goûta pas… Au Canal il continua à faire de la poésie – seule forme de proteste des prisonniers politiques.
Libéré en 1954, on lui interdit de signer, donc, de publier ses écrits. Il le fit et, en 1958, pour la troisième fois, il fut condamné à 18 ans de prison.
Ses poésies « circulaient » sous le manteau, les frontières n’y étant pour rien. Et le décret de’ 64 vint. En 1967 il fut réélu membre de l’Union des Ecrivains de Roumanie.
Le poème À Radu Gyr qu’Andrei Ciurunga lui dédia est un hommage des plus vibrants rendu à un camarade de souffrance chez lequel Jésus entra dans la cellule.
A RADU GYR
Mon camarade de bagne ennemi
Et toi, mon frère de mauvais pain sans blé,
On souffre tous les deux de la même plaie
Et, tous les deux on ronge le même frein.
Mais le vent m’envoya, ou peut-être le ciel,
Dans les pleurs des menottes vieilles et rudes,
Une chanson que le geôlier
Ne le vit pas s’évader de Aïud.
Quand la nuit noire me couvrait de sa houle,
Ensanglanté par les griffes du délire,
Jésus venait chez moi dans la cellule,
Emmené par mucenicul Radu Gyr.
Alors mon corps oubliait toute douleur
Sous Ses yeux tendres qui nous bénissaient
Et dans notre promise résurrection
Les cloches des souvenirs retentissaient.
Si les revenants envahirent nos frontières
Et beaucoup d’autres égarèrent la voie,
Nous, on resta sous les murs de la Troie
Et sous le fer du cheval de bois.
Les yeux brûlés de flammes et de rêves,
Tous les biens entassés dans le cœur,
Nous attendions Ulysse, enchaînés,
Lui redire l’Iliade par cœur.
Chargés de tous les grands vents de la steppe,
Nous marchions sans nous arrêter guère,
Tout droit, car nous sommes comme les jnepes*
Et personne ne regarde en arrière.
Nous n’avons pas goûté le Cotnar aux grandes fêtes
Nous n’avons pas rêvé d’un Heidelberg nouveau,
Mais la jeunesse nous fut la grande conquête
Sur la barricade du siècle-hérou.
Mon camarade de bagne ennemi
Et toi, mon frère de mauvais pain sans blé,
On souffre tous les deux de la même plaie
Et, tous les deux on ronge le même frein.
Car tu es près de moi, ma main pourrait t’atteindre
Et je sens sous l’épine de chagrin,
Une goutte de ton sang chaud qui vient rejoindre
– Et s’entremêler en vers avec le mien.
JE NE SUIS PAS COUPABLE, MON PAYS !
À l’heure où mis en chaînes, dans la prison,
Pour expier la plus lourde peine, je crie,
Le front dans les étoiles, de tout mon cœur :
– Je ne suis pas coupable, mon pays !
Je ne suis pas coupable pour avoir
Aimer sa noble et sainte lumière,
Encore moins que les ennemis au cœur noir
Le gaspillèrent et le crucifièrent.
Je ne suis pas coupable puisque j’aime
La ronde paysanne, ronde – comme ma terre -,
Et les petits mages nous chanter des noëls
Comme depuis toujours le firent nos pères.
Je ne suis pas coupable des moissons
De blé, des grappes de raisin de nos côteaux,
Et que, de me savoir maître de ma maison,
J’y ai reçu tous ceux qui qui avaient besoin d’eau.
Je ne suis pas coupable d’avoir crier misère
Et que ma déchirure affola les chacals,
Que je deteste, de Prut, la maudite frontière,
Que mon Ceahlău vaut mieux que les Urals.
Si j’ai crié que les meutes nous volaient
Le pain de tous les jours – le pain béni,
Les terres, les bois et le ciel étoilé,
Je n’en suis pas coupable, mon pays !
C’est pourquoi, mis en chaînes, dans la prison,
Pour expier la plus lourde peine, je crie,
Le front dans les étoiles, de tout mon cœur :
– Je ne suis pas coupable, mon pays !
SIMPLICITE
Un jour viendra où l’on parlera de nous
Comme on parle des chênes et des glands,
Les hommes seront lavés de toute boue,
Les enfants d’aujourd’hui seront grands.
Les vieux diront, évoquant leurs souvenirs :
– Ils étaient jeunes, ils saignaient de leur plaies,
Les femmes, de leurs mains douces, fragiles,
Par des haillons de chemise les bandaient.
Personne ne pleurera près de nos tombes
Comme on ne pleure pas l’herbe fauchée
Ou l’infini d’azur-immensité
Car nous serons alors à tout le monde.
Un jour viendra où, de nous, on va parler
Comme on parle des sources et, les hommes
Viendront boire à pleines poignées de l’eau
Que nous fûmes, des fragrances de fraîcheur.
INSCRIPŢIE PE O CĂTUŞĂ
Îţi simt pe os răceala din inelul
Ce-mi înconjoară vrutul nenoroc,
Brăţara mea turnată din oţelul
Furat din munţi şi biruit în foc.
O, cum începe gândul să se zbată
Când îţi privesc destinul închircit,
Că nu-ţi fu dat, cătuşă blestemată,
S-ajungi în mâna neamului cuţit !
INSCRIPTION SUR LES MENOTES
Je sens sur l’os le froid de ton anneau
Mon bracelet d’acier, mon porte-malheur !
Ton fer, pris des montagnes et mis au feu
Déchire de ses griffes mon pauvre cœur.
Ô, combien me brûle-t-elle, ma pensée
Quand je regarde ton destin hideux
Que tu ne fus devenu, maudit bracelet,
Dans la main de mon peuple, couteau !
DANIIL L’HERMITE
Venu dans une vallée de rivière
Des monts, comme le poète l’écrivit,
Le Prince Etienne Le Grand de Moldavie
Dit à l’Hermite que les gens oublièrent :
– Quand j’ai senti qu’il n’y a plus de paix
Sur la terre du pays, de toute ma terre,
A Putna, de la tombe je m’ suis levé
En renversant cinq siècles de colère.
Que se passe-t-il ? Je n’y peux rien comprendre
De ce que je vois, ma raison le refuse :
L’ancienne frontière est-elle à vendre ?
Volée la Moldavie ? Par quelle ruse ?
Vendîtes-vous, par malheur, aux foires du temps
Aux hordes avides, une partie de nos terres ?
Tous les trésors du monde ne valent nullement
Le moindre coin de notre sainte terre.
L’acier de vos boucliers s’est-il peut-être
Rouillé depuis les quelques siècles de bel âge,
Que les ennemis purent librement commettre
De leurs maudites flèches, un tel carnage ?
Pourquoi les cloches ne sonnent-elles plus à Putna
A l’heure des vêpres, ô, les cloches ravies !
Toi, tu te tais, mon vieux ou, les grands froids
Eteignirent-ils en toi la flamme d’ la vie ?
Tard dans la nuit, sous les pâles paupières,
Les yeux du vieux – fontaines de sagesse,
S’ouvrirent : Vous êtes là, Votre Altesse ?
J’étais en train de faire ma prière.
Cessez de croire que vos garde-frontières
Perdirent la tête en devenant des fous
Et qu’ils vendirent nos terres pour quelques sous !
Enlevez donc de vous cette pensée trop amère.
Ils sont en chaînes, sous le joug des bourreaux,
Près du tréfonds de mer, sous les fouets,
Mais ceux qui les fouettent ce sont des étrangers
Non pas des nôtres, gloire à Vous, Dieu !
Mon Prince, réjouissez-vous, tous vos archers
Sont prêts et ils n’attendent que le moment
Qu’on leur ordonne : – Allez-y les gars !
Et, la lance à la main, ils S’élanceraient.
Et, parmi toutes les hordes ennemies
On passerait, puis, les fleurs dans les bras,
Prince Etienne, personne ne pourra
Nous arrêter d’ reprendre notre pays.
On va bâtir ensuite un monastère
Pour vous, sous la large bâche de l’horizon,
Pour que tous les bons hommes de notre terre
Rentrent communiés à la maison.
Canal du Danube-la Mer Noire, 1952
LITURGIE
Nos années suppliciées,
Nos années meurtries, amères,
Te firent naître, cimetière
De cette terre oubliée.
On nous porta des prisons –
Esclaves dans la steppe damnée,
Pour y arroser les fleurs
De nos larmes de rosée.
De nos corps à travers champs,
Nous, on creusa des chemins
Pour les vagues du Danube bleu,
À nos yeux, couleur chagrin.
Nous voilà aujourd’hui –
Sans cercueil, sans tombe, sans croix.
Que la paix soit avec toi
Cimetière sans liturgie !
Les cierges n’y brillent jamais,
Les cloches n’y sonnent même pas,
Plus de haies, plus d’ barbelés
Personne ne s’en évade pas.
Parfois des anneaux d’ lumière,
Paissent l’herbe qui fut jadis
On ne sait plus quel père,
On ne sait plus quel fils.
Il pleut du ciel aux étoiles,
La lune verse ses rayons,
L’herbe couvre de son voile
Les reposants sans haillons.
Demain viendra peut-être
La loi du grand jugement.
Ne tardez pas, Dieu, ces êtres
L’attendent de trop longtemps.
Nos années suppliciées
Font le guet. Que la paix soit
Eternellement avec toi,
Cimetière oublié !
Selecţie, traducere, note şi prefaţă Paula ROMANESCU